La fondamentalisation du droit des personnes

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Revue de droit d’Assas 2015, page 37

Le droit des personnes en tant qu’ensemble normatif organisant la condition juridique de l’être humain, dans sa double dimension publique et privée, de la cellule sociale à l’atome singulier du soi intime, est un droit fondamental. Il est au soubassement de tous les autres droits qui n’ont de sens que parce qu’ils saisissent la personne en action dans des espaces sociaux et économiques où les relations interpersonnelles doivent être régulées. La fondamentalité du droit des personnes est donc une invariable de notre système juridique conçu en contemplation du rapport entre la personne et la chose, le sujet et l’objet, l’être et l’avoir. L’esprit d’inventivité per- met peut-être de s’évader de cette structure binaire – songeons aux adeptes de droits des animaux ou, parce que certains en parlent, de droits des robots – mais la rationalité, fût-elle suspecte d’académisme, doit être intransi- geante : la boussole du droit est la personne et il serait déraisonnable de la dérégler en invitant à la table des acteurs du droit ceux qui ne sont, en réalité, que leurs protégés (les animaux) ou des supplétifs mécaniques (les robots). Revenons à l’essentiel : le droit des personnes est en soi un droit fondamental sous peine de sacrifier l’ordre de la loi qui est au commencement du droit : « Le droit assure la primauté de la personne » (C. civ., art. 16).

Ce dont il est question, dans ces conditions, n’est pas la fondamentalité du droit des personnes mais la fondamentalisation des droits des personnes, forme de radicalisme des règles qui, dans l’hystérie individualiste ambiante, les pousse au panthéon des droits fondamentaux. Les droits fondamentaux sont, comme chacun sait, une « catégorie » relativement récente de droits conçus dans un esprit de hiérarchisation pour mettre au premier rang des droits qui auraient une autorité normative supérieure. Ce fut les droits naturels et imprescriptibles de l’homme de 1789 dans une perspective jusnaturaliste puis les droits constitutionnels dans une approche positi- viste avant – pour faire court – d’être gradués sur l’échelle de la fondamentalité. Qu’est-ce que la fondamentalité ? À part quelques-uns de nos savants collègues, nous n’en savons trop rien, ce qui très certainement arrange les décréteurs de droits fondamentaux. Ramené à un phénomène – la fondamentalisation –, on perçoit mieux l’en- treprise qui consiste à créer un corps d’élite de droits et de principes en les dotant d’une valeur supérieure dans l’ordonnancement juridique. C’est une forme de ségrégation juridique : il y a les droits fondamentaux et les autres droits qui ne sont pas fondamentaux; les droits du dessus et les droits du dessous. La fondamentalité opère comme un totem, induisant le tabou du sacrifice de certains droits.

À l’observer en droit des personnes, la fonda- mentalisation se présente comme un phéno- mène de masse qui saisit des droits de plus en plus nombreux. À cela s’ajoute que, gagné par la fièvre de la fondamentalisation, le droit des per- sonnes est appelé à produire de nouveaux droits fondamentaux pour répondre aux revendications sociales croissantes dans une perception subjectiviste de la fondamentalité.