Situation des travailleurs des plateformes : la confrontation des options, la réalisation des choix

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Conclusions du colloque Avosial sur « Les travailleurs de plateformes »

Publication : JCP S 2020, 2045

1. – La situation contractuelle des travailleurs de plateformes place le droit contemporain face à des choix. Le malaise est palpable : travailleurs indépendants en titre, quasi-salariés en fonction, ils ne sont ni vraiment les uns, ni pleinement les autres. Tiraillés entre deux conditions, ils n’ont le profit, ni de l’une, ni de l’autre. Économiquement dépendants, juridiquement indépendants, ils mettent crûment en lumière le dépassement des catégories de travailleurs qui ne sont pas de ce siècle. Pourtant, si l’on s’accorde volontiers sur le diagnostic, c’est pour se diviser aussitôt sur la façon de remédier à cet état des choses. Il y a plusieurs niveaux de réflexion. Les divergences les plus profondes portent sur la voie à emprunter : adhérer au statut de salarié quitte à en favoriser la reconnaissance ; conserver le statut d’indépendant en insufflant une dose de droits sociaux ; créer un statut ad hoc mixant les règles en opportunité. La Cour de cassation a entre-ouvert la porte du salariat pour y laisser entrer, pour le moment, les travailleurs de plateformes de livraison de biens ou de transport de personnes. Le législateur, de son côté, se dirige à tâtons vers un statut combinant la qualité d’indépendant et des droits supplémentaires. D’abord timide en 2016, il s’est montré plus audacieux dans sa démarche lors de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, d’une part en se défaussant sur les opérateurs de plateformes de la responsabilité d’établir des normes communes aux travailleurs au moyen d’une charte facultative, d’autre part et surtout en refoulant toute incursion du droit du travail. Il était attendu à cet égard d’une présomption de non-salariat associée à l’adoption de la charte qu’elle protège les plateformes contre le risque de requalification des relations contractuelles en contrats de travail. Mais cette présomption ayant été invalidée par le Conseil constitutionnel, le dispositif a perdu toute attractivité pour les opérateurs numériques.

2. – Son utilité était au demeurant réservée aux seules plateformes de livraison ou de transport, autrement dit à celles que la jurisprudence de la Cour de cassation expose au risque de requalification. Ce traitement minimaliste, même si l’objet de la loi s’y prêtait, pose la question du champ d’action du droit : pour quelles plateformes et pour quels travailleurs ? Toutes les plateformes ne se ressemblent pas et tous les prestataires qui y louent leurs services n’opèrent pas dans les mêmes conditions. La détermination de la cible est un deuxième niveau de réflexion qui n’est pas sans conséquence sur les axes à donner à un cadre juridique. On peut d’ailleurs se demander s’il ne faut pas aller encore au-delà et saisir l’occasion d’une délibération sur les orientations à prendre pour évaluer plus globalement l’opportunité de faire évoluer certaines règles ou à l’inverse de les stabiliser. C’est ce troisième niveau de réflexion qui est à l’origine des discussions sur la manière d’appréhender et, le cas échéant, de réorganiser la situation juridique des travailleurs de plateformes. Le point de départ a été celui-là : une commission composée d’avocats membres d’AvoSial a proposé de formuler une définition légale du critère du contrat de travail en codifiant l’exigence d’un lien de subordination et en synthétisant ses éléments constitutifs dégagés par la jurisprudence Société Générale. La confrontation des opinions était le ressort du débat qui, rapidement, s’est élargi à une confrontation des options alors que, tout naturellement, l’approche s’est dédoublée. À la gamme des possibles sous l’angle du droit du travail a fait pendant l’alternative d’un statut spécifique des travailleurs de plateformes qui comporte lui-même une gradation de variables. S’agissant des deux faces d’une même question, celle de l’adaptation ou de l’adaptabilité de la norme, la controverse commande de croiser les réponses. Au risque d’appauvrir la pensée de chacun, c’est dans la confrontation que les idées gagnent en luminosité. Mais on ne peut en rester là : la force des propositions s’éprouve dans les choix concrètement opérés. La synthèse suivra donc ce tracé : la confrontation des options ; la réalisation des choix.